L’histoire du viaduc n’est guère plus
réjouissante que celle du château de Coucy que nous avons retracée
précédemment. Construit entre 1863 et 1865, le viaduc était à deux étages et
permettait donc aussi bien aux piétons et voitures qu’aux
trains de la Petite Ceinture de traverser la Seine. Il
était très long : 225m de long dont 159m au-dessus de la Seine. Sitôt sorti
de terre, le pont reçut son lot d’obus lors du siège de Paris en 1870 et fut
fortement endommagé. Il est aussi connu pour avoir servi de base de déversement
des poubelles de Paris lors des inondations de 1910 ! Les usines d’épurations étaient à l’arrêt et il fallait à
tous prix éviter les épidémies. Puis
il ne survécut pas au succès du Métropolitain et fut désaffecté en 1934
en même temps que la petite ceinture. Pour finir, sérieusement détérioré en 1943 par
un bombardement, il sera finalement démoli en 1953 pour laisser place à
un nouveau pont : le pont de Garigliano, construit en 1966.
Le pont était aussi connu sous le nom du viaduc du Point du Jour, du nom du quartier et de la gare qui le desservait et qui
faisait référence aux duels qui se déroulaient à cet endroit au petit
matin. À vrai dire, le lieu est encore
très malfamé en ce 14 juillet 1905 (NB : la date est indiquée sur le positif de la photo). Derrière le pont, après la grand
arche que l’on aperçoit au dessus des passants, se cache d’ailleurs un
véritable lieu de réjouissances avec guinguettes, bals et concerts (voir ici). Une question vient donc à l’esprit : que
faisait donc le distingué Monsieur Eugène dans ce quartier populaire ? Venait-il
s’encanailler dans l’un de ces lieux de perdition ? Guincher au bal du 14
juillet ? La réponse se trouve sans doute dans cette
nouvelle truculente de Joris-Karl Huysmans “Autour
des fortifications” qui y décrit justement ce quartier du Point de Jour à
la fin du 19e siècle :
« Le public se divise en deux
catégories qui se frôlent, mais ne se fondent point : en haut, du peuple
en casquette de soie ou en casquette américaine, à visière droite, — quelques
femmes en cheveux, des enfants sur des genoux, des brûle-gueule qui
charbonnent, des chiques qui fusent. — En bas, de la petite bourgeoisie de
boutique, des ménages endimanchés, très propres ; des chapeaux melon,
des redingotes noires sans un pli, en bois, avec des collets qui remontent dans
les oreilles, des redingotes dont la provenance du Pont-Neuf ou de Godchaux est
sûre. Le brûle-gueule a disparu, il est remplacé par la pipe en bruyère et en
écume. — La distinction ne va pas jusqu’au cigare. — Un ou deux pourtant
fument, épandant une odeur de choux dans des fentes poilues de bouches, des
cigares à 5 centimes, nidoreux et mous. Il est certain que ces assistants ont
mis les volets de leur boutique, emporté dans leur poche le bec-de-cane et que,
jusqu’à l’heure du dîner, ils vont s’ébattre, pour oublier les transactions, le
paiement des broches, les achats disputés, les difficiles ventes. »
